Et j'ajouterai, un brin mesquin, je l'admets : Bazzo, intellectuelle? La phrase qui tue : « À qui donc va-t-on faire croire que l'actuel débat sur la laïcité est plus en lien avec les Patriotes de 1837-38, sinon même Fleury Mesplet, qu'avec la présence récente de musulmanes voilées, immigrées au Québec et, tant qu'à y être, qu'avec le mimétisme dont souffre un certain type de Canadien français par rapport à la France et ses phobies? » Allô les habitués des cafés et bistrots des rues Laurier et Bernard - le brunch est bon? How do ya like them apples...?
Je m'attendais à une rigueur exemplaire. Après tout, le texte était sur-titré «Déclaration des Intellectuels pour la laïcité», avec un «I» majuscule à intellectuels. C'est intimidant, surtout quand, en plus, ils se présentent en rangs serrés!
Ce texte (Le Devoir, 16 mars 2010), qui se veut magistral, est pourtant plein d'affirmations gratuites formulées d'autorité et non sans quelque démagogie, d'inexactitudes et, à l'occasion, d'un... pharisaïsme surprenant en ces lieux.
On affirme péremptoirement, par exemple, que la laïcité est «une condition essentielle à l'égalité entre hommes et femmes». Je veux bien, mais où est le début du commencement de la démonstration de cette présumée évidence? Beaucoup de choses sont essentielles à cette égalité souhaitable, comme les droits égaux, l'équité salariale, des conditions justes, etc. Mais la laïcité?
Encore: les Intellectuels écrivent que «la laïcité dite "ouverte" [...] permet toute forme d'accommodement des institutions publiques avec une religion ou une autre». D'abord, à sa face même, ladite laïcité n'autorise pas, indifféremment, «toute forme d'accommodement», auquel cas on ne parlerait plus d'accommodements mais de règle générale. Deuxièmement, il ne s'agit en rien d'un accommodement «avec une religion ou une autre».
Il s'agit plutôt, et la chose est fort différente, d'accommodements avec une ou des personnes qui, pour des motifs religieux, les réclament. L'État n'accommode pas l'islam, le catholicisme ou le judaïsme, mais bien des personnes qui, parce que croyantes, réclament, sans contester la règle générale, d'y être soustraites dans certaines circonstances. Cette légèreté, cette imprécision de langage, étonne chez des personnes qui se présentent sous l'étiquette d'intellectuels se prononçant en tant que tels et dont on est justifié d'attendre une rigueur exemplaire.
Jésuites, ils écrivent: «Les aménagements de cette laïcité "ouverte" convergent avec les objectifs des groupes religieux conservateurs qui cherchent à faire prévaloir leurs principes sur les lois en vigueur.» Que voilà un procès d'intention du type boomerang. Car enfin, ne pourrait-on pas faire exactement le même procès en sens inverse et dire, avec la même autorité, que la laïcité «fermée» (?) favorise objectivement les groupes laïcisants les plus intransigeants? Et ça nous avance à quoi, ce genre de procès d'intention, réversible en plus?
Surtout, il y a dans ce texte une odeur d'un désolant et irritant... pharisaïsme. Après avoir retracé les origines de la laïcité au Québec, les Intellectuels affirment, comme pour se dédouaner, que, «si l'idée d'un État laïque est antérieure aux Patriotes, on ne peut donc dire que la laïcité est une réaction défensive face aux minorités issues de l'immigration récente». Franchement! À qui donc va-t-on faire croire que l'actuel débat sur la laïcité est plus en lien avec les Patriotes de 1837-38, sinon même Fleury Mesplet, qu'avec la présence récente de musulmanes voilées, immigrées au Québec et, tant qu'à y être, qu'avec le mimétisme dont souffre un certain type de Canadien français par rapport à la France et ses phobies?
Logique bancale
Un peu plus loin, et le jupon masqué dépasse ici outrancièrement, ils écrivent que «l'on ne peut faire abstraction du fait que certains des signes les plus ostentatoires représentent pour plusieurs un rejet de l'égalité des sexes qui est une valeur démocratique fondamentale». Qui donc, ici, ne comprendra pas que c'est du foulard islamique que l'on parle sans avoir la franchise de le nommer? Il y a ici une couche de tartufferie assez épaisse merci. À se demander si, dans un coin secret de leur grand esprit, les Intellectuels au «I» majuscule n'ont pas une petite gêne à dévoiler leur peur de l'Autre...
Dernière irritation: entendu à la télévision le sociologue Guy Rocher, l'un des signataires, qui explique qu'une femme voilée derrière un comptoir d'État, ça ne le fatigue pas, mais qu'il faut se méfier, car il pourrait bien y en avoir dix. Et là, dit-il, ça le fatiguerait! D'où l'interdiction du foulard! Ça coule de source... non? Cette logique primaire, bancale, chez pareil intellectuel, est inquiétante.
Bref, cette Déclaration des Intellectuels pour la laïcité jette beaucoup de poudre aux yeux et, malheureusement, le prestige de plusieurs de ses signataires risque de convaincre par effet d'autorité. Je suis de ceux qui attendent beaucoup mieux de nos intellectuels. Et beaucoup plus. Surtout dans un texte tout ce qu'il y a de solennel, coiffé du qualificatif «Déclaration».
***
Jacques Keable - Montréal
Ce texte (Le Devoir, 16 mars 2010), qui se veut magistral, est pourtant plein d'affirmations gratuites formulées d'autorité et non sans quelque démagogie, d'inexactitudes et, à l'occasion, d'un... pharisaïsme surprenant en ces lieux.
On affirme péremptoirement, par exemple, que la laïcité est «une condition essentielle à l'égalité entre hommes et femmes». Je veux bien, mais où est le début du commencement de la démonstration de cette présumée évidence? Beaucoup de choses sont essentielles à cette égalité souhaitable, comme les droits égaux, l'équité salariale, des conditions justes, etc. Mais la laïcité?
Encore: les Intellectuels écrivent que «la laïcité dite "ouverte" [...] permet toute forme d'accommodement des institutions publiques avec une religion ou une autre». D'abord, à sa face même, ladite laïcité n'autorise pas, indifféremment, «toute forme d'accommodement», auquel cas on ne parlerait plus d'accommodements mais de règle générale. Deuxièmement, il ne s'agit en rien d'un accommodement «avec une religion ou une autre».
Il s'agit plutôt, et la chose est fort différente, d'accommodements avec une ou des personnes qui, pour des motifs religieux, les réclament. L'État n'accommode pas l'islam, le catholicisme ou le judaïsme, mais bien des personnes qui, parce que croyantes, réclament, sans contester la règle générale, d'y être soustraites dans certaines circonstances. Cette légèreté, cette imprécision de langage, étonne chez des personnes qui se présentent sous l'étiquette d'intellectuels se prononçant en tant que tels et dont on est justifié d'attendre une rigueur exemplaire.
Jésuites, ils écrivent: «Les aménagements de cette laïcité "ouverte" convergent avec les objectifs des groupes religieux conservateurs qui cherchent à faire prévaloir leurs principes sur les lois en vigueur.» Que voilà un procès d'intention du type boomerang. Car enfin, ne pourrait-on pas faire exactement le même procès en sens inverse et dire, avec la même autorité, que la laïcité «fermée» (?) favorise objectivement les groupes laïcisants les plus intransigeants? Et ça nous avance à quoi, ce genre de procès d'intention, réversible en plus?
Surtout, il y a dans ce texte une odeur d'un désolant et irritant... pharisaïsme. Après avoir retracé les origines de la laïcité au Québec, les Intellectuels affirment, comme pour se dédouaner, que, «si l'idée d'un État laïque est antérieure aux Patriotes, on ne peut donc dire que la laïcité est une réaction défensive face aux minorités issues de l'immigration récente». Franchement! À qui donc va-t-on faire croire que l'actuel débat sur la laïcité est plus en lien avec les Patriotes de 1837-38, sinon même Fleury Mesplet, qu'avec la présence récente de musulmanes voilées, immigrées au Québec et, tant qu'à y être, qu'avec le mimétisme dont souffre un certain type de Canadien français par rapport à la France et ses phobies?
Logique bancale
Un peu plus loin, et le jupon masqué dépasse ici outrancièrement, ils écrivent que «l'on ne peut faire abstraction du fait que certains des signes les plus ostentatoires représentent pour plusieurs un rejet de l'égalité des sexes qui est une valeur démocratique fondamentale». Qui donc, ici, ne comprendra pas que c'est du foulard islamique que l'on parle sans avoir la franchise de le nommer? Il y a ici une couche de tartufferie assez épaisse merci. À se demander si, dans un coin secret de leur grand esprit, les Intellectuels au «I» majuscule n'ont pas une petite gêne à dévoiler leur peur de l'Autre...
Dernière irritation: entendu à la télévision le sociologue Guy Rocher, l'un des signataires, qui explique qu'une femme voilée derrière un comptoir d'État, ça ne le fatigue pas, mais qu'il faut se méfier, car il pourrait bien y en avoir dix. Et là, dit-il, ça le fatiguerait! D'où l'interdiction du foulard! Ça coule de source... non? Cette logique primaire, bancale, chez pareil intellectuel, est inquiétante.
Bref, cette Déclaration des Intellectuels pour la laïcité jette beaucoup de poudre aux yeux et, malheureusement, le prestige de plusieurs de ses signataires risque de convaincre par effet d'autorité. Je suis de ceux qui attendent beaucoup mieux de nos intellectuels. Et beaucoup plus. Surtout dans un texte tout ce qu'il y a de solennel, coiffé du qualificatif «Déclaration».
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Jacques Keable - Montréal
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